Peut-on parler de malentendu alors qu’il est question de voir ? En général, la photographie (ou notre manière de regarder la photo), renvoie au réel du paysage, d’un visage, d’une situation ou à l’imaginaire du photographe… Mais ici, elle fait naître un trouble. Qui ou plutôt que sont ces visages, qui, ou que sont ces corps ? Quelque chose sonne faux, de toute évidence, ce sont là des images tordues, ou nos repères habituels ne sont pas tout à fait opérants, à moins qu’il ne s’agisse d’images d’une réalité tordue qui nous aveugle. Avec ces photographies de publicités (on finit par le comprendre, à défaut de le voir clairement) Emmanuel Georges invente l’oxymore visuel : elles font apparaître, de la manière la plus crue la réalité de l’artifice, le monde comme une fiction (fiction s’entend au sens de foi en l’artifice) sur deux modes distincts.

À la lumière des abribus et des vitrines, à l’inverse du rapport traditionnel entre l’artiste et son modèle : la représentation devient modèle, “Le modèle”. La représentation de la représentation, jusqu’à l’abîme est au cœur de ces images qui me touchent. Dans un même temps sont révélés l’artifice et notre complaisance, face à un modèle (parce qu’il n’y en a qu’un, sans cesse ressassé, sans cesse réincarné ) qui nous modèle.

« La fiction avance toujours cachée » c’est à cette phrase de Roland Barthes que me font penser ces autres images où le paysage et sa dimension sociale, culturelle, est sans cesse occultée, cachée. Posées sur le paysage, ces affiches ne disent littéralement rien, ici le sexe cache la pauvreté du sens autant que les paysages qu’il investit et dont il détourne nos regard bien plus qu’il ne trouble nos sens.

Ce que la photo nous révèle ici, et en cela ces images sont d’une nouveauté cruelle, c’est notre foi naïve, notre capacité à ne pas (plus) voir l’obscénité libérale jusqu’à confondre liberté, réalité et pub-show (peep show ?) planétaire.

Michel Pfister.