« Parlez-moi d’amour, pensez à Aline et plongez doucement dans les images ».
Ici, il y a du spleen et Christophe chante aujourd’hui l’instant évoqué avant lui par Baudelaire, Fitzgerald et Modiano. C’est dire qu’il y a quelque chose de très littéraire dans le travail d’Emmanuel Georges, une idéogrammatique de l’instant qui passe. Quatre plages uruguayennes, paysages joliment dévastés par le maniérisme, y cèdent vite la place à d’autres littoraux moins falsifiés. Les lieux : Vintimille ou Pampelune, Banyuls ou Milan, Ostende, Hambourg, Nice, San Sebastian ou Jerez de la Frontera… ou même Merlimont-Plage où l’on imagine que des campings et des snacks bars et où Emmanuel Georges donne à voir des sentiments déchirés.
La tonalité : bleue et grise, parcourue de personnages fantomatiques sous des cieux si purs qu’ils en paraissent de convention. L’idée : celle du temps perdu, suspendu, retrouvé.
On pourrait être à Cabourg et peut-être d’ailleurs y est-on en effet – un Cabourg mental, dont la photographie saisirait la topographie rêvée. On parlerait de mélancolie, pourquoi pas, devant un dernier drink. L’hôtel London (« tutti i conforti, via Rovello, 3 ») s’offre une escale d’un autre âge, sous le regard vitrifié d’une publicité Armani. Une jeune fille ophélienne et son grand chien noir se découpent sur fond de marée montante, lumineuse. Partout des crépuscules précis, des cargos immobilisés par les douanes du regard. Et tout à la fin du voyage, cette image en état d’arrestation : devant une fenêtre, un fauteuil et une table en rotin, un briquet abandonné, deux crayons. Quelqu’un va écrire. Sur la feuille absente, deux mots dans la durée : Du Spleen. Qu’on ne s’y méprenne pas, c’est une sensation plutôt heureuse. Sous l’épavé, la plage.
Jérôme Mallien (DNA).