USA

Je vérifiais que les clichés emmagasinés tout au long de ma vie d’enfant et d’adolescent, forcément abreuvée de culture nord-américaine, se portaient bien. Du journal de Mickey Mouse à Steven Spielberg, en passant par ces feuilletons que j’attendais impatiemment les samedi après midi à la télévision, “Amicalement vôtre”, “Les mystères de l’ouest” et bien d’autres… Je constatais surtout que les idéaux d’un monde, apparemment si décontracté, devenaient aussi moribonds que d’autres auteurs semblaient adroitement l’insinuer. Comme dans les photographies critiques de Walker Evans, Paul Strand et Robert Adams que je reconnaissais sans vraiment les connaître, comme dans les films de Wim Wenders, John Cassavetes et Martin Scorsese, dont je me sentais si proche. Ces images chargées à mes yeux d’une évidente poésie, celle qu’inspirent les anti-héros, ne pouvaient se redécouvrir que là-bas. Avec le goût du vent en plus.
La nostalgie d’un monde coloré, fait de grandes façades sculpturales, de belles automobiles rutilantes, de vastes espaces à peine inquiétants parce que toujours, quelque part, pas si loin, un snack ou une station rouge, jaune, bleu outremer, vous attend. Un décor oscillant entre la désuétude et la tonitruante – mais fausse – animation, colorée à la manière des parcs d’attractions, qu’auraient abandonné subitement Mickey et ses amis. Peut-être n’était-ce que cela : la fin de l’enfance.
Un décor sans humanité, de fausses promesses joliment écrites sur les enseignes scandant inlassablement les même arguments : bienvenue aux animaux de compagnie, aux possesseurs de cartes de crédits, bienvenue tout court, et aussi de gros numéros annonçant les prix des chambres, de l’essence avec une telle assurance que passer outre ces offres finissait par vous poser de graves problèmes existentiels. “I buy, therefore I am”… telle était visiblement la ligne à suivre dans ce beau pays plein d’utopies perdues.
20 ans après je regarde ces images et me reconnais : j’étais, je suis, réservé quant à ce monde. Mais je ne peux faire autrement qu’essayer de l’aimer car c’est le mien. Ainsi mes images n’ont-elles pas fini de parler de cette ambiguïté, de ces repères douteux qui n’ont pas fini de nous dire : “Welcome”.
  • Date

    1986

  • Info

    Série réalisée en 1986 au Rolleiflex T3,5, tirages 40x40cm sur papier baryté exposés en 1989 à la galerie AMC, Mulhouse.